La fabulation esthétique et politique de la vie quotidienne des femmes trans dans l’image photographique

The aesthetic and political fabulation of the daily life of trans women in the photographic image

  • Ângela Cristina Salgueiro Marques
  • Marco Aurélio Máximo Prado
La puissance fabulative des images, selon Jacques Rancière, réside dans les opérations intervallaires qui produisent des déplacements, des imprévus et de nouvelles dispositions dans les scènes d’apparition et de dissensus qui configurent l’ordre sensible de la politique. Il nous montre comment le “moment quelconque” peut changer la lisibilité et la distribution des temps et des espaces qui configurent l’apparence des sujets vulnérables. L’objectif de cet article est de montrer, à travers l’analyse de certaines images photographiques de l’exposition « Elas, Madalenas » (Lucas Ávila, 2014), comment des femmes transsexuelles fissurent les dispositifs de jugement et contrôle normatif quand elles apparaissent sur les images par le travail d’une figuration fabulatrice qui invente une forme de vie dont la puissance réside dans l’acte énonciative et dissensuel qui refuse de répondre aux expectatives préétablies. L’image crée une opération pour bouleverser le contrôle explicatif sur l’apparition politique de l’expérience.
    Palabras clave:
  • Photographie
  • Fabulation
  • Femmes transsexuelles
  • Apparaître
The fabulative power of images, according to Jacques Rancière, lies in the interval operations which produce displacements, unforeseen events and new dispositions in the scenes of appearance and dissensus which configure the sensitive order of politics. He shows how the “random moment” can change the readability and distribution of times and spaces that configure the appearance of vulnerable subjects. The objective of this article is to show, through the analysis of certain photographic images of the exposition “Elas, Madalenas” (Lucas Ávila, 2014), how transsexual women crack the systems of judgment and normative control when they appear on images. This appearance is possible by the work of a fabulative figuration which invent a form of life whose power lies in the enunciative and dissensual act which refuses to respond to pre-established expectations. The image creates an operation to upset the explanatory control over the political appearance of the experience.
    Keywords:
  • Photography
  • Fabulation
  • Transgendered women
  • Appearance

1 Introduction

Dans la série d’entretiens qui composent le livre La Méthode de l’égalité (2016), Jacques Rancière affirme tout d’abord qu’il ne suit aucun méthode protocolaire, formel, pour faire ses recherches. Il poursuit un réseau de connexions hors de toute causalité, une sorte de constellation matérielle entre des éléments dynamiques et que s’articulent de manière inattendue. Il affirme que la méthode qu'il a toujours suivie dans son travail consiste à choisir une singularité, un microcosme, et à essayer de reconstruire les conditions qui rendent possible une telle singularité, en explorant le réseau de sens qui l’entourent. Ce réseau est la scène polémique de dissensus qui met en question et réordonne l’ordre sensible de visibilité et d’intelligibilité.

Pourrions-nous penser les gestes quotidiens de « montage » chez les personnes trans (transsexuelles1, en tant que des moments sensibles porteurs d’un potentiel politique? En 2012, l'exposition photographique « Elas, Madalenas », de Lucas Ávila, a choisi de montrer des femmes trans capturées en faisant des activités ordinaires, des moments quelconques de la vie quotidienne des travestis, transsexuels, drag queens, transformistes, androgynes et d’autres personnes ayant fait l'expérience des genres transgressifs. L'exposition « Elas, Madalenas », inaugurée en 2014, s'inscrivait dans une recherche photographique commencée en 2010 dont l’objectif était à relier le sens esthétique des images aux débats sociaux à propos des corps dissidents de genre. Faisant partie de la communauté LGBT, l'auteur, constatant que la vie des travestis a toujours été associée à la prostitution, à la drogue et à des multiples vulnérabilités, a cherché à les photographier dans leur diversité de classes, d'âges et d'identités, montrant comment les images peuvent rompre avec les stéréotypes et des cadrages méprisantes. Lucas Ávila voulait présenter la diversité des femmes trans à partir des cadres et des lieux qui humanisent des corps toujours perçus comme associés à la marginalité.

La recherche met en évidence la diversité corporelle et esthétique des femmes trans photographiées et capturées dans des scènes de leur monde privé, dans leurs propres maisons, dans les cercles d'amis, dans les soirées privées et les lieux publics. Autrement dit, le photographe entendait montrer le quotidien humanisé, la vie du sujet ordinaire, le sujet commun, les gestes banals de la vie quotidienne. L'objectif principal était, à travers les images, de produire une humanisation du corps et de la diversité esthétique, montrant que les femmes trans et travestis ont une vie commune. Pour cela, une longue recherche a été menée, commençant par une approche lente et progressive des femmes trans et travestis, construisant une relation de confiance et d'affection. C'est à partir d'un rapport à leur monde que les images ont été produites et assemblées pour exprimer l'humanité dans la diversité des corps toujours vus et pris par des clichés. Le résultat de cette enquête menée par Lucas Ávila a été une exposition de ces photos et images dans un contexte en tant qu'intervention. L'exposition « Elas, Madalenas » a commencé dans des musées qui ne sont jamais visités par des personnes trans et travestis, car l'idée était de montrer que les images déplacent les corps des stéréotypes, mais aussi que le cadrage de l'exposition se fait dans un environnement inhabituel où ces corps ne sont généralement pas vus ou deviennent l’objet d’une pensée.

Ces images rendent visible que le choix et la composition des vêtements qui recouvrent leur corps sont liés à la fois à la connaissance et à la maîtrise des codes de perception, à la reconnaissance et à l’appréciation des sujets (révélant que notre relation avec notre corps est influencée par des constructions sociales), surtout en ce qui concerne l’appropriation inventive et singulière de ces codes, ainsi que la construction de réponses aux idéaux culturels et aux normes de genre. À cet égard, le geste du « montage de soi » implique également la (re)construction d'un corps, puisqu'il ne s'agit pas uniquement de le couvrir, mais de mettre en forme, de produire, d'incarner et de matérialiser les possibilités de la culture. Ainsi, une telle action performative de moulage d’un corps révèle que le vêtement n'est pas un manteau, mais une partie intrinsèque de cette expression corporelle. Par exemple, de nombreuses personnes transgenres, en particulier des travestis brésiliens, « assemblent » leurs corps en déposant des mousses sur leurs hanches et leurs vêtements pour les élargir, composant un corps appelé par les constructions sociales, un corps en devenir, en création constante.

Cette compréhension considère la question des négociations et des capacités de réalisation de soi des sujets dans des conditions défavorables et au milieu de contraintes de pouvoir et de domination comme centrale. Ces négociations, toujours tendues et marquées par d'innombrables asymétries, remettent en question le modèle idéologique du genre en tant que conséquence et effet du champ normatif et réglementaire. Après tout, le modèle des idées n’est pas censé être imité, mais bien être le mécanisme central émanant des modes de coercition et de réglementation. Dans une ligne de pensée foucaldienne, on pourrait dire que le modèle idéationnel, en engendrant le pouvoir, régule, élargit et limite, en considérant qu'il ne s'agit pas seulement de domination et de contrainte, mais également de négociation et de pouvoir disciplinaire. Le modèle idéationnel, du point de vue du champ normatif du genre, serait la rencontre du pouvoir disciplinaire (qui agit sur des corps individuels) et de la biopolitique (qui agit en contrôlant des corps collectifs, stimulant ainsi la bonne vie et rendant ainsi imperceptibles et naturalisées les modes de sujétion).

Dans cet article, lorsque nous nous intéressons à la subjectivation politique des femmes trans2, nous cherchons à souligner les ressources qui leur permettent d’exercer leurs négociations avec les normes et codes en vigueur, en mettant l’accent sur les ressources esthétiques (qui ne sont pas réduites à la distinction de la mode ou aux vêtements, mais incluent diverses dimensions de l’assemblage ou du « montage » corporel et des expressions de genre) capables de valoriser leurs expériences de vie complexes avec le champ des idéalisations normatives, où souvent ce que nous pourrions considérer comme des contraintes est utilisé pour fracturer le champ même de la régulation sociale.

Selon Jacques Rancière (1995), auteur central pour les analyses ici proposées, le sujet politique est beaucoup plus un sujet situé entre des lieux et des positions qu'un sujet conscient de soi et de ses contraintes. C’est donc un sujet qui s’éloigne du corps social et des identités sociales imposées, et qui élabore soi même à partir d’une expérience intersubjective en transit, transitoire, de caractère liminal et frontière, qui relie et sépare des régions, des fonctions, des lieux, tout en mettant en suspension le champ normatif.

Notre objectif est de réfléchir au processus de configuration de ces femmes en tant que sujets politiques à partir d'opérations et de procédés d'énonciation qui constituent une scène d'apparition publique et des modes de représentation individuelle. Nous considérons l'exposition « Elas, Madalenas » de Lucas Ávila3 comme une expérience photographique de l’apparaître public et une expression politique de femmes trans qui peuvent nous donner des pistes de réflexion sur les moyens à travers lesquels les images peuvent faire figurer d’autres formes de vie en déplaçant les codes et les normes de valorisation et appréciation de ce qui est compris comme humain. Rancière nous pose les questions suivantes: comment trouver « un moyen d'interrompre la machine à expliquer les choses » (Rancière, 2018b, p. 17)? « Quel genre d'opération va changer cette distribution du visible et du pensable? » (Rancière, 2019, p. 50). Ces questions nous semblent importantes pour réfléchir sur la manière dont Rancière relie les images à l'apparition des sujets sur la scène de dissensus à partir de l’opération fabulatrice d’un moment quelconque extrait à la vie quotidienne.

L'exposition photographique présente des femmes trans de professions et d'âges variés dans des situations quotidiennes, du spectacle artistique à la promenade sur une place publique. Leur subtilité consiste à mélanger les normativités (« ce qui est attendu » de ces femmes), à négocier avec des référentiels hiérarchiques et à révéler les potentialités de la manière dont elles mènent leur vie, définissent leurs choix, façonnent leur quotidien et leur manière d'être. Ainsi, nous cherchons à comprendre comment elles se placent visuellement dans l’espace et comment elles présentent à elles-mêmes et au spectateur de l’exposition certaines manières de voir, de ressentir et d’agir. C'est-à-dire que nous considérons à la fois l'apparence physique (à travers le corps et les vêtements qu’elles portent) et l'action d'apparaître sur la scène publique et de gagner de la visibilité devant les autres. Comme nous l’avons dit plus tôt, ce n’est pas un corps vu que les vêtements viennent s’enduire, mais un corps vêtu de manière unique qui peut pénétrer dans des scénarios consensuels, désarmant les pièges qui le ramènent constamment à l’abjection.

Il est important de souligner la différence utilisée ici entre les termes « apparaitre » et « apparence », largement explorés dans le document. L’apparaitre est liée au concept que Rancière utilise pour définir la façon dont les sujets doivent créer la scène de leur visibilité: le moment où ceux qui n’ont pas de lieu de parole dans la société peuvent faire entendre leur discours, peuvent changer les conditions d’intelligibilité et d’audibilité dans une scène d’énonciation spécifique. Le concept d'apparence est présenté selon Hannah Arendt (2002), qui l’associe à une vie contemplative, par opposition à la vie active, dans laquelle il y a trois actions primordiales: penser, vouloir et juger. Pour la sphère du jugement, elle utilise une vision kantienne de l'esthétique, dans laquelle il existe « la possibilité d'utiliser des jugements réflexifs esthétiques de manière analogue pour penser des jugements réflexifs politiques » (Bertolazo, 2013, p. 11). Une telle sphère peut être donc comprise comme un espace où les sujets semblent être d’une certaine façon et sont jugés politiquement par selon ce style publiquement soutenu. L'apparaitre est, de façon général, une expérience de rupture avec un ordre préfiguré qui programme notre perception et notre raison pour répondre de manière consensuelle aux appels du visage de l’autre. L’« apparaître » est également une opération, une pratique (un dispositif, au sens des arrangements élaborés, selon Michel Foucault, pour répondre à une urgence?) qui reconfigure la visibilité et l'intelligibilité qui médiatisent nos interactions avec l'altérité. Ce geste est insurgent et égalitaire, car il défie la hiérarchie qui connecte le regard et l’écoute des autres aux dispositifs de contrôle et de prévisibilité.

En utilisant les concepts proposés par Rancière (1995, 2000, 2004), nous cherchons à comprendre le rôle politique que l'apparence joue dans les archives imagétiques de la scène quotidienne de ces femmes. Nous considérons l'articulation entre l'apparence physique (soin de soi par le maquillage, la tenue vestimentaire et l'expression du corps), l'expression de genre (ce qui inclut le « montage » avec des accessoires de mode) et l'apparaitre public (la reconnaissance des femmes en tant qu'énonciatrices et sujets politiques qui performent leurs propres discours, en encourageant la création et le partage d’une syntaxe expressive commune) indispensable à la compréhension d’un corps qui résulte de la modélisation, de l’expérience unique des modèles d’oppression et, en particulier, des projets et des modes d’action des individus en interaction constante.

Afin d’étudier la manière dont les vêtements relient l'apparence à l'apparaitre politique de certaines femmes trans, nous utilisons l'approche de Rancière (2009a, 2008/2012) pour définir une intersection entre esthétique et politique dans la construction du sujet autonome. L'auteur affirme que le sujet politique agit pour faire sortir les corps de leurs lieux désignés, les libérant de toute réduction de leur fonctionnalité. Un sujet politique émancipé cherche à configurer et à recréer une scène polémique sensible dans laquelle sont inventés des manières d'être, de voir et de dire, promouvant de nouvelles subjectivités et de nouvelles formes d'énonciation collective (Calderón, 2020). Cette scène permet l'émergence de sujets d'énonciation, l'élaboration et la gestion d'énoncés, la mise en place de spectacles et d'affrontements qui s'y déroulent, mettant en jeu l'égalité ou l'inégalité des partenaires en conflit en tant qu'êtres désirants, parlants, émancipés. En ce sens, notre démarche est d’élaborer une réflexion qui peut être lue comme une scène, un événement de parole qui déplace le partage du sensible institué et ouvre un autre espace de croisements de voix et de regards.

2 Le travail de l’image et les inventions de soi

L’argument que nous essayions de développer est lié à la façon dont nous pouvons étudier l'image comme une singularité et comme opération intervallaire à partir de laquelle une scène dissensuelle émerge, peut produire des moments de rêverie (et des hétérotopies) qui agissent dans la reconstitution d'un champ d'apparence, créé lorsque l'imaginaire consensuel est déplacé et fracturé, modifiant la façon dont nous pouvons accueillir le visage de l’autre.

Que ce soit en analyse cinématographique ou photographique, Rancière (2007, 2010, 2008/2012) cherche à nous montrer que les images sont le résultat d'un travail, la construction de nouvelles relations et articulations qui créent d'autres possibilités d'apparition et de transformation des formes de vie et du commun. Selon Rancière, « une image introduit un intervalle, un type de verticalité par rapport au continuum de formes visuelles rassemblées et d'opérations de sens qui leur sont associées » (2019, p. 69). Cette opération interroge une lecture consensuelle qui rend l’altérité constamment invisible et indisponible pour la pensée (Calderón, 2020).

L'opération de production d’un intervalle qu'une image est capable d’élaborer brise les attentes de lisibilité, apportant au regard du spectateur une indécidabilité qui le rend sensible à des aspects qui auparavant n'auraient pas fait l'objet de contemplation ou de considération. Cet écart, cet intervalle ouvert entre une visibilité stabilisée des personnes trans (sans oublier bien sure les opérations de lisibilité qui le composent) et une visibilité dialectique par l'indécision qui rend le regard sensible, contribue à ce que Rancière (2008/2012) appelle « pensivité de l’image », présentant au spectateur de nouveaux modes de perception de l'image, des corps et de l'espace-temps de la scène.

Bref, la réflexion met en évidence la tension et même l'opposition entre deux images possibles: l'image socialement déterminée du sujet trans et l'image de sujets qui fabulent un corps pour la pose, défiant une hiérarchie policière du visible. La pensivité permet d’échapper à une hiérarchie et donner de l'importance à l'unicité d'une seule image lorsqu'elle introduit une ligne de fuite par rapport au déroulement horizontal d'un énoncé dans lequel prévaut généralement la causalité consensuelle.

La constitution du sujet politique émancipé implique, d’une part, qu’il investisse sur l’élaboration de son agencement personnel: travailler sa propre langue et s’exprimer avec authenticité, éthique et engagement (Foucault, 1984). Mais l’émancipation requiert aussi, selon Rancière (2011), le développement d'une capacité à la fabulation, à créer des possibilités autres que celles déjà disposées par un ordre consensuel et légitimé. Il conçoit une méthode basée sur une opération dissensuelle qui déplace les objets, les sujets et les discours de leur espace habituelle dans la vie quotidienne et dans les cadres interprétatifs conventionnels et les oriente vers le domaine des inventions de différentes formes de langage dans un réseau de traductions et de contre-traductions. Il propose une manière polémique de recadrer le commun: un recadrage qui dépend de la subversion d'une distribution donnée du sensible à travers la création d'une scène de « confrontation entre des sens communs opposés ou des manières opposées de cadrer ce qui est commun » (2009a, p. 277). Pour lui, il est possible d'identifier un « comme si » dans le travail de fabulation, c’est-à-dire, la possibilité de produire un décalage entre l'identité sociale attribuée au sujet et ce qu'il est capable de faire, créer, inventer.

Notre intérêt est de réfléchir sur la manière dont l'intervalle produit par le travail de l’image libère « ce qui était indexé sous le registre du seul réel possible, présentant à ce réel ordinaire et déjà consensuel une deshiérarchisation et une possibilité d'apparaître » (Rancière, 2019, p. 55). Les photographies de Lucas Ávila nous aident a soutenir l'argument selon lequel la fabulation des images est liée à l'unicité du « moment quelconque » et à son potentiel dissensuel à faire apparaître le vulnérable à partir d'un écart contemplatif entre le spectateur et l'altérité présente dans l'image. À notre avis, les images pensives peuvent donner lieu à des scènes de dissidence dans lesquelles l'apparition (apparaître) des sujets est issue d'autres manières de percevoir les corps et les multiples spatialités et temporalités de la scène à partir desquelles leur visage nous interpelle.

Le moment quelconque (moment démesuré, moment d’après) rend possible la figuration des sujets vulnérables (Rancière, 2017). Dans la figuration, le sujet échappe à notre tentative incessante de le catégoriser, de l'évaluer, de le juger et de le soumettre au déjà familier: il doit rester étrange et, pour cette même raison, troublant. La figuration dans les images photographiques présente « d'autres réalités, d'autres formes de sens commun, c'est-à-dire d'autres dispositifs spatiaux et temporels, d'autres communautés de mots et de choses, de formes et de significations » (Rancière, 2008/2012, p. 99). Les moments singuliers et démesurés qui font figurer les vulnérables sont ainsi

Des moments qui explosent, qui dynamitent le temps continu, le temps des vainqueurs: permettant l'ouverture d'un autre temps, un temps commun, né dans les intervalles opérées dans le premier: pas un temps du rêve qui ferait oublier le temps souffert ou projeter un paradis en devenir, mais un temps qui présente un autre temps, qui donne importance à tel instant, en le reliant à d'autres instants. (Rancière, 2018c, p. 36)

La politique présente dans le geste figuratif est liée à la capacité qu'ont les images d'agir sur la manière de reconnaître la dignité des sujets. Une telle action implique le geste de reconfigurer la relation de contemplation du monde, permettant une forme d'expérience du même qui préserve la distance qui permet au spectateur de réfléchir sur les significations de ce qui est représenté dans l'image.

La poétique de la connaissance met différentes affirmations dans une relation d'égalité: c'est un libre jeu entre des textes, des noms et des rationalités. La « poétique du savoir » (Rancière, 2000) est une réorganisation et une recréation de perceptions acceptées de la réalité, réorganisant toute une forme de savoir et de connaitre. Faisant appel à cette opération poétique de réinscription des langages et des expériences, Rancière nous invite à penser les images à partir de « l'activité créatrice de l'invention qui permet de redéfinir et de reconfigurer un monde spécifique et, en même temps, une expérience commune » (2000, p. 116). La poétique du « moment quelconque » interroge la relation causale, déterminée, préconfigurée entre temporalités: il s’agit, dans les deux cas, d’une opération de bouleversement des régimes d’intelligibilité et de lisibilité qui retire les objets, les récits et les corps d'un statut que l'histoire sociale ou culturelle leur a assigné, permettant l'émergence d'un excès de noms, un surplus de mots et d'usages.

3 Considérations méthodologiques

Le parcours théorique-analytique de ce travail a été conçu de manière à indiquer une sorte de résistance aux formes de vie données à priori, à l'effacement et à la disparition du sujet dans des récits qui placent les individus dans des cadres discursifs précédemment architecturés, capturant leurs gestes, leurs routines et leurs corps par des opérations et activités consensuelles, contraintes et soumissions de toutes sortes. En ce sens, l'exposition et l'apparence du corps dans des images, des performativités et des récits oraux et écrits sont capables d’établir des tensions entre des énoncés et des modes/scènes d'énonciation, nous révélant une potentialité politique de désidentification et de rupture (Picado, 2006). Nous prenons le corps comme une instance politique, performative, médiatique et existentielle, soulignant son potentiel à être transformé, reconfiguré (soumis à une contrainte entre sujétion et subjectivation). Il résiste et insiste en tant que puissance, bien que souvent méprisé, rejeté, violé (Butler, 2003).

Afin d'explorer une partie du potentiel politique des images photographiques de Lucas Ávila, nous avons sélectionné pour analyse six images4 que nous considérons comme emblématiques du processus de subjectivation politique des femmes trans. Notre lecture de ces images s’articule autour des relations qu’elles établissent avec trois agencements spécifiques: a) la mise en scène du corps dans l’image (apparence); b) soins corporels et élaboration poétique de récits de soi à travers les modes d'appropriation du vêtement; c) la désidentification (apparaître).

L'exercice de l'apparaître contredit la chaîne des causes et des effets qui est responsable de rendre visibles et lisibles les événements et les narratives qui articulent l’expérience et les identités des sujets. L’apparition est une rupture avec la prévisibilité, la relation entre ce qui était prévu et ce qui se passe réellement, créant un récit expérimental et dissident. C'est dans l'exploration de ce processus que nous avons l’opportunité de distinguer des lacunes et des intervalles qui permettent les reconfigurations et les déplacements nécessaires au regard et à l'interprétation.

L’apparition d’une singularité sur la scène de dissensus résulte d’un montage qui met en place une désorganisation des significations, une indécidabilité dans l'appréciation et un regard contemplatif et sensible. Selon Rancière (2020), la scène est d’abord la mise en œuvre d’une forme de rationalité non hiérarchique, d’une rationalité basée sur la rêverie. C'est par le chemin du moment quelconque que le sujet quelconque peut avoir d’autres opportunités d’être figuré (et pas seulement représenté), d’apparaître et d’être vu et entendu comme sujet politique. L’apparition est en même temps le travail de la désidentification et de l’émancipation:

class="quotation"[Apparaître c’est] la manière dont des sujets politiques se constituent en décalage par rapport à des identités à travers des actes qui changent la distribution des positions, et, par conséquent, la configuration d’un monde commun. Mais je ne me suis pas occupé du devenir-sujet des individus. Ce qui m’a intéressé, c’est la manière dont des individus s’emploient à reconstruire l’univers sensible ou le type de monde commun dans lequel ils sont. (Rancière, 2020, p. 834)

L’émancipation associée à l’apparition du sujet sur la scène (qui est en même temps le résultat de cette apparition) est une articulation entre la capacité qui le sujet quelconque possède de changer son apparence mais aussi le dispositif qui contrôle quels corps et quels apparences sont dignes d’être considérés comme légitimes au détriment des apparences perçues comme abjectes et méprisables. Rancière (2009b) explique que l’apparaitre permet au sujet la redisposition de la perception de son monde, de son corps, les reliant à une expérience sensible et à des modes d’interprétation qui accordent une autre intelligibilité à leur présence dans le monde. Ainsi, « l’émancipation n’implique pas un changement en termes de connaissance mais en termes de position des corps » (Rancière, 2009b, p. 575). La dimension esthétique de l’émancipation prend l’apparence non par la différence entre ce qui est beau ou pas, mais comme « un mode d’inscription dans un univers sensible […] le fait d’être pourvu d’un certain corps, défini par des capacités et des incapacités et par l’appartenance à un certain univers perceptif » (Rancière, 2009b, p. 575). L’émancipation est donc définie par Rancière comme une rupture avec la corporéité qui affirme la correspondance et l’adéquation « entre un certain type d’occupation et un certain type d’équipement intellectuel et sensoriel » (2009b, p. 575).

L’apparence du corps est une des dimensions du processus de reconfiguration du champ de la perception d’un individu. L’autre dimension est l’apparaitre, c’est-à-dire, « les déplacements qui modifient la carte de ce qui est pensable, de ce qui est nommable et perceptible, donc aussi de la topographie de ce qui est possible » (Rancière, 2009b, p. 576). La puissance de l’articulation entre l’apparence (aussi possible par les techniques de soi) et l’apparaitre est lié à la possibilité que ces opérations sur le visible et le pensable ont de déplacer le corps de la place qui lui ait été désigné et de transformer le réseau matériel, symbolique et intersubjectif qui le soutiennent et modifient leurs vulnérabilités.

Ce travail qui rapproche l'apparence et l'apparaitre permet aux corps d'expérimenter leurs possibilités de manière différente, en se distanciant de la place qui leur a été assignée de manière hiérarchique. Les déplacements, les réarrangements et les redispositions peuvent configurer un autre imaginaire pour accueillir la présence de formes de vie dissidentes. Les dissensus élaborées dans les transformations mineures et quotidiennes des corps altèrent le partage du sensible et révèlent l'imbrication entre l'esthétique et le politique dans le processus d'émancipation. Les images photographiques faites par Lucas Ávila ouvrent un écart affectif et éthique dans l'ordre policier qui limite et contrôle les expériences et les désirs des corps dissidents de genre. L’intervalle ouvert par l’image et dans l’image permet à ces corps de redécouvrir leurs propres mouvements, leurs gestes et leur mobilité unique entre les espaces sociaux, politiques et institutionnels. Les transformations matérielles et qualitatives de l'apparence des corps peuvent reconfigurer leur apparence politique dans une scène de dissensus et vice versa.

Selon Rancière (2020), le montage de la scène est le travail d’articulation des éléments disponibles à l’action du sujet sans reproduire un jugement établi, de façon à permettre que l’écart entre des éléments qui composent la scène puisse agir sur leur organisation ainsi que sur la redéfinition des bords entre l’identification et la desidentification des sujets politiques. La scène est aussi issue d’un double travail : les opérations de résistance conçues par ces sujets de lutte et les opérations de montage élaborées par ceux ou celles qui désirent concevoir des nouvelles formes de visibilités, lisibilité et pensabilité concernant les formes de vie mises en place à travers justement la lutte mentionnée auparavant. Le photographe Lucas Ávila devient ainsi quelqu’un qui monte de scènes en articulant des objets, des pratiques, des ambiances, des affections et des corps dans leur diversité et hétérogénéité pour créer des images qui parlent d'elles-mêmes, qui posent des pensées tout en déplaçant des critères qui se naturalisent dans la vie quotidienne, interrogeant ainsi des visions, des cadrages humiliantes et des jugements basés sur l’argument des abjections.

Le rapprochement affectif avec les femmes trans et travestis s'est fait dans la construction d'un lien de confiance et d'amitié entre elles et l'artiste. Cette longue démarche a permis à l'artiste de construire avec elles les décors des images. L'idée était de montrer la vie quotidienne de sujets communs, d'arracher ces corps aux visions stéréotypées dont normalement les définissent. Montrer des gestes communs, environnements et ambiances quotidiennes, relations intimes et affectueuses qui peuvent donner à voir un univers humain. L'auteur photographe, en entrant dans l'univers des femmes trans et travestis et en construisant cette relation affective en tant que participant attentif de leur routine, entame le projet de construction et d'investigation des images dans le but de disloquer les corps, les lieux, les visibilités, les regards, les contextes d’interaction et les discours.

Nous partons de l'hypothèse selon laquelle la politicité de ces images est liée à la manière dont le sensible est saisi dans le visible (sans être épuisé par la représentation) et à la manière dont cette appréhension crée des possibilités de remettre en question les hypothèses déjà établies et d'accepter, d’accueillir l'altérité dans l'image. (Marques, 2014). Après tout

Lorsque des groupes en situation de liminalité assument la production et la circulation d’informations sur eux-mêmes, ils favorisent une esthétisation de l’expérience par l’appropriation des formes symboliques typiques à l’ordinaire, à la vie quotidienne, à l’ordinaire. Invoquer le commun, le banal, c'est esthétiser la vie simple (Mendonça et Leal, 2017, p. 108).

Pour Rancière (2008/2012), une image est politique lorsqu'elle montre les opérations qui influencent l'interprétation de ce que nous voyons, c'est-à-dire que le pouvoir politique réside à la fois dans les images (matérialité du signe) et dans les relations et les opérations qui les définissent. Ces opérations influencent la caractérisation politique de ce que nous voyons, ce sont les relations qui définissent les images, c’est-à-dire les relations qui s’établissent à l’intérieur et à l’extérieur du domaine artistique, qui prédéfinissent les énoncés qui assemblent et désassemblent les relations entre le visible et l’invisible, le dicible et l’interdiction de la parole. Comme le dit Rancière, « l’image n’est pas simplement le visible. C'est le dispositif à travers lequel ce visible est capturé » (2007, p. 199) et les modes de sa capture.

La politique des images est intrinsèquement liée à la manière dont, dans les images, les opérations constituent des régimes de visibilité capables de réguler et de contraindre les « apparitions » et l’apparaitre de sujets, ainsi que de réglementer la distance qui les sépare du spectateur afin d’éviter un continuum confus où toute probabilité d'altérité peut échapper. En ce sens, les photographies de Lucas Ávila nous incitent à chercher des éléments susceptibles de mettre en évidence la manière dont les opérations de visibilité associent performances et corps pour faire apparaître quelqu'un dans une scène polémique et dissensuelle, dans laquelle le processus de cadrage a du mal à faire apparaître un sujet multiple, porteur de « noms » divers et capable d'occuper des lieux qui ne lui ont pas été attribués à l'origine. Ces opérations de visibilité qui configurent l'image ont donc leur dynamique assurée par la conception singulière du montage promue par le cadrage.

De plus, cet exercice doit tenir compte du fait que l'ensemble des images analysées n'a de sens que dans une imagerie (Rancière, 2008/2012), c'est-à-dire d'un flux imaginaire et imagetique créant une chaîne dont la production de sens se produit non seulement par des signes visuels, mais également par l'invisible et l'innommable. Dans cette chaîne, les images ne sont pas liées par subordination, mais par le montage, par la coordination et par le choc. C’est le dissensus qui permet de mettre en lumière la politique de l’image, en soulignant le rôle de l’esthétique dans la production d’une poétique de la politique, dans laquelle se situent les actions et les « apparitions » situées des sujets qui produisent la politique et, dans le même geste, trouvent et agissent sur les logiques de la police et sur la rationalité consensuelle sous laquelle nous vivons.

4 Mise en scène du corps dans l'image

Un premier point qui nous frappe dans la série de photographies qui composent l’exposition « Elas, Madalenas » a été la tentative de montrer un corps « entre identités »: non « en transition », mais combinant explicitement deux modes d’être tangents et tangibles. Ces deux modes émergent par une expérimentation capable de donner lieu à des scènes de dissensus et à des actes performatifs visant à reconfigurer l'ordre sensible. Selon Rancière (2010a), le sensible désigne les modes de performance et d'exposition, les formes de circulation et de reproduction des énoncés, mais aussi les modes de perception et les régimes d'émotion, les catégories qui les identifient, les schémas de pensée qui les classent et les interprètent.

Le concept de « scène », pour Rancière, est lié à l’espace du théâtre, dans lequel les acteurs créent des actes énonciatifs à travers lesquels ils inaugurent un espace et un temps capables de permettre de nouvelles découpes et territorialisations de l’espace matériel et symbolique, en plus de la « construction des espaces et des relations afin de reconfigurer matériellement et symboliquement le territoire du commun » (Rancière, 2010b, p. 39). Sur la scène de dissensus, des opportunités sont créées pour donner origine à des situations appropriées afin de changer nos regards et nos attitudes envers cet environnement collectif et envers nous-mêmes. Le dissensus configure une scène comme une subversion des temps et des espaces destinés aux sujets au sein des hiérarchies qui déterminent les corps. Les fonctions du corps, du temps et de l'espace sont considérablement modifiées par rapport à celles qui sont généralement destinées au corps de la femme travestie et trans. Cela implique un défi important et aussi une interpellation, car il faut être « hors-piste », détourner le regard vers les scènes quotidiennes des femmes trans réunies en groupes pour s'amuser et pour créer, de manière poétique, d'autres mondes possibles.

La photographie de la figure 1 révèle, à notre avis, la configuration d'une opération dissidente qui montre les tensions entre les identités fabriquées et les identités sociales imposées et impliquées dans le processus de désidentification. L'identité sociale est, selon Rancière (1995, 2009a), l'inscription d'un sujet dans un ordre qui associe son lieu à une façon de faire et de dire considérée comme appropriée ou cohérente dans une hiérarchie. Ainsi, à travers l'identification, un individu se positionne dans une hiérarchie. Grâce à la subjectivation désidenticatoire, un sujet politique est créé en perturbant l'ordre hiérarchique.

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Figura 1

La chambre de Brenda, 2014.
Source: Collection personnelle du photographe Lucas Ávila

Comme nous l'avons mentionné, dans la scène polémique de dissensus, selon Rancière (1995), il est possible d'identifier un « comme si » impliqué dans l’affirmation « les choses sont comme ça ». Cette possibilité de fabulation qui crée un écart dans le réel, permettant à l’individu de devenir plusieurs sujets à la fois, est configurée comme une poétique de l'invention et du devenir. Selon Rancière, faire coexister le « comme si » et le « comme sont » des choses constitue la façon dont il extrait ses « petits récits de la fabrique d’histoire sociale, où ils avaient le statut d’expressions d’une certaine culture enracinée. apparaissent comme des déclarations qui favorisent des changements dans le partage du sensible » (2009a, p. 281) 5.

Il nous semble qu’une question mérite d’être soulignée ici: la composition dramaturgique de l’image qui montre une femme trans devant le miroir en regardant ailleurs. Le fait de ne pas pouvoir regarder sa face, n’empêche pas l’émergence de l’énigme de son visage, car cette énigme, selon Emmanuel Lévinas (1987) ne nous permet pas d’étiqueter le sujet selon nos catégories représentatives données, mais nous dépossède devant l’altérité. C'est énigmatique, d’après cet auteur, la façon dont l'autre se manifeste devant nous, comment nous parvenons à l'entendre, mais sans qu'il soit appréhendé par le concept, par notre tentative de le réduire à une norme connue de jugement, puisque la raison supprime l'altérité. Une rencontre aussi énigmatique est définie par Lévinas comme l’apparition du visage: l'autre n'est pas connu par la représentation (il n’est pas capturé par le miroir que nous rend une image possible d’être classé selon nos codes), mais il nous fait un appel qui exige et sanctionne notre pouvoir d'agir et d'être. L’image de Lucas Ávila nous renvoie à cette scène de l'énigme chez Lévinas, à travers laquelle l'autre interrompe le jeu de sa réduction au même. Le miroir ne reflet pas une image capturable, mais le jeu de la constitution réciproque des êtres: en même temps que l'extériorité se présente, l'intériorité se forme, car le moi s'ouvre et se constitue par l'autre.

Cette manière qu'a l'autre de chercher ma reconnaissance tout en préservant sa singularité, dédaignant le recours à l'immédiateté de la connaissance ou de la complicité, cette manière de se manifester sans se manifester est que nous appelons une énigme – pour revenir à l'étymologie de ce terme grec (qui signifie quelque chose d'obscur ou d'équivoque), et en l'opposant à l'apparence indiscrète et victorieuse d'un phénomène... Une énigme n'est pas une simple ambiguïté dans laquelle deux signifiés ont des chances égales et la même lumière. Dans une énigme, le sens exorbitant est préalablement étain dans son apparition. (Lévinas, 1987, p. 66)

Cette photographie de Lucas Ávila nous fait aussi penser à la méthode utilisée par Rancière pour mettre en évidence les processus de subjectivation politique: non seulement le corps transsexuel crée-t-il une scène performative dissensuelle, mais c'est également une étape au cours de laquelle différents noms se confrontent dans une tension permanente. Il ne s'agit pas d'explorer la discordance entre la surface de ce corps et les structures qui se cachent sous la peau, mais de mettre en évidence l'assemblage, le « montage » et la combinaison possible de noms différents qui peuvent être portés par les sujets.

J'essaie toujours de penser non pas en termes de surface et de sous-sol, mais en termes de distributions horizontales, de combinaisons de systèmes possibles. Là où nous cherchons quelque chose de caché sous les apparences, nous établissons une position de domination. J'essaie de penser à une topographie qui n'implique pas cette position de domination et de contrôle. Il est possible, d'un point de vue indifférent, de tenter reconstituer le réseau conceptuel qui rend une déclaration pensable, qui permet à une peinture ou à une musique de prendre effet, que la réalité semble être transformable ou non. (Rancière, 2006, p. 142)

D'une certaine manière, nous pouvons rapprocher cette photographie (mais aussi d'autres de la série « Elas, Madalenas ») d'un effort établi entre photographe et photographié pour recomposer un réseau sensible de sens permettant de saisir le corps trans, de lui donner une autre forme de lisibilité et d’apparences autres que celles qui le classent comme déviant ou abject (Butler, 2002, 2009/2015). Le « comme si » établi par la photographie laisse entrevoir les moyens par lesquels il est possible de dessiner de nouvelles configurations et paysages du visible, du dicible, du faisable et du pensable. À cet égard, « les pratiques artistiques s'opposent au consensus par d'autres formes de sens commun, des formes de sens commun controversées » (Rancière, 2010b, p. 37).

Certes, cet exercice de fabulation favorise une déterritorialisation des lieux sociaux imaginaires occupés par les femmes trans, conduisant à une désidentification. Nous l’avons vu, la désidentification est l’une des dimensions de la subjectivation chez Rancière et consiste en répudier un nom donné et un lieu imposé ou précédemment défini, en estimant qu’il n’y correspond pas totalement ou partiellement. C'est fondamentalement ce qui motive le sujet à chercher, à créer (et cette agence créative est très importante) et à entrelacer de nouveaux noms et lieux de dialogue et de visibilité. À cet égard, il convient de mentionner l’activité de reconfiguration de ce qui est donné dans le sensible exploité par un sujet politique doté de capacités énonciatives et démonstratives pour modifier la relation entre le visible et le dicible, entre les mots et les corps, entre la saturation (consensus) et le supplément (dissensus).

Il ne s'agit pas simplement de désigner des moyens idéologiques de camoufler les inégalités, mais de nommer et de rendre visibles et vérifiables les expériences singuliers qui en font une condition intolérable. Ainsi, la subjectivation de Rancière renvoie à la fois au processus de devenir sujet et au processus politique de nommer des contraintes de pouvoir et des injustices: elle met en évidence le fossé existant entre l’identité sociale d’une personne au sein d’un ordre consensuel donné (dans la répartition des rôles, des lieux et des statuts) et une certaine demande de subjectivité à travers l'action de la politique (Marques, 2014).

Lucas Ávila a notamment tenté de comprendre comment les femmes trans, à travers le maquillage, les vêtements, les soins capillaires, le toilettage et bien d'autres dispositifs faisant partie de l'apparence visible, s'approprient de manière créative leurs corps, élaborent leur propre langage et veulent être comprises comme des êtres qui ne se limitent pas à un mot, à un lieu et à un mode d'appréhension et de reconnaissance (Mendonça et Leal, 2017; Tenorio et Prado, 2016). Il n’ya pas de prétention ici d’imposer des conclusions sur le genre lui-même, mais il est important de réfléchir à la manière dont les vêtements, le maquillage et les accessoires fonctionnent dans la performance du genre.

5 La fabulation émancipatrice des moments démesurés

Les photographies qui font partie du projet « Elas, Madalenas » apportent non seulement les marques d'une histoire unique, idiosyncratique et singulière de chaque corps et de sa diversité dans ces images, mais aussi un double jeu esthétique entre le visible et l'invisible, entre ce qui est supposé et ce qui est toujours inconnu. Le déplacement des images des femmes travesties en ce sens est donné par le double jeu qui se joue entre ce corps qui présente silencieusement son inscription plongée dans les critères du visible et, en même temps, qui met en tension cette même inscription. Pour reprendre les mots de Rancière:

La photographie est devenue un art en mettant ses moyens techniques au service de ce poétique qui fait parler deux fois les visages des anonymes : en tant que témoins muets d'une condition directement inscrite dans leurs traits, leurs vêtements, leur mode de vie ; et en tant que détenteurs d'un secret que l'on ne connaîtra jamais, un secret volé par l'image même dans laquelle ces visages nous renvoient. (Rancière, 2008/2012, pp. 23-24)

Les images de « Elas, Madalenas » défient le régime consensuel d’organisation hiérarchique du monde et ses divisions déjà établies. Entre la tension d'une affection intime et la quête de reconnaissance sociale, les photographies favorisent une intimité entre le regard observateur et le corps témoin de l'histoire. Le carrefour constitué par le croisement des regards du photographe et du spectateur suscite des questions: comment est-il possible qu’un corps travesti puisse avoir de l'intimité, des soirées entre amis, des petits gestes et actions du quotidien vécu et être dans un musée désormais humanisé par la diversité? Est-il possible pour ces femmes de transformer leur corps, leur positionalité et les coordonnées de leur propre expérience pour créer de nouvelles formes de subjectivité et de soin de soi à partir de la construction d'une autre scène énonciative?

Sur plusieurs photographies de l'exposition, telles que la figure 2, il est possible de voir comment les femmes transsexuelles produisent ce que Foucault (1975/2004) a qualifié de soin personnel: « il faut prendre soin de soi de même, ne vous oubliez pas, faites attention avec vous-même », ce qui implique une « relation singulière, transcendante, du sujet par rapport à son environnement, aux objets dont il dispose, ainsi qu’aux personnes avec lesquelles il est en relation à son corps et enfin à lui-même » (Foucault, 2013, p. 50).

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Figura 2

Anyky Lima chez elle, 2013
Source: Archive personnel du photographe Lucas Ávila.

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Figura 3

Anyky Lima – une vie en résistance, 2011
Source: Archive personnel du photographe Lucas Ávila.

Étant donné que les femmes transsexuelles prennent soin de leur corps différemment de ce qu'on attend de leur genre à la naissance (avec tous leurs discours attachés), elles interrogent des ordres sociaux et policières, cherchant des moyens de les subvertir, entamant des négociations et contestant des valeurs et des significations constantes. Dans une tentative de se construire, elles deviennent effectivement des sujets politiques. Elles s’éloignent d'un lieu unique et apparemment déterminé pour occuper d'autres espaces par le biais d'une lutte politique et esthétique profondément associée à leur propre mode de vie. Cette lutte est personnifiée, par exemple, par la trajectoire de Anyky Lima (voir figure 3).

Les images photographiques de Lucas Ávila révèlent une fabulation du quotidien, un regard tourné vers d'autres scènes d'apparition et une protection familière de ces corps: les femmes trans dans leur quotidien le plus prosaïque. Ils offrent des regards, des sourires, des aperçus de l'existence afin de permettre de nouvelles façons de penser la visibilité (entre la répétition et l'innovation) et les régimes de (dé) valorisation alimentant le partage politique du sensible.

Le moment quelconque élargit le temps présent pour rendre possibles les possibilités non encore enregistrées par l'ordre de police de contrôle. Cet excès de temporalités habilement montées dans un tourbillon est le dispositif qui, pour Rancière, va désorganiser le « grand continuum fait de la conjonction des moments qui sont, à la fois, le point par lequel passe la reproduction de la hiérarchie des temps et le point d'un hiatus, d'une rupture » (2018c, p. 35). L’« apparaître » possibilité par le moment quelconque est également une opération, une pratique qui reconfigure la visibilité et l'intelligibilité qui médiatisent nos interactions avec l'altérité. Ce geste est insurgent, car il défie la hiérarchie qui connecte le regard et l’écoute des autres aux dispositifs de contrôle et de prévisibilité. Comme le signalent Mendonça et Leal:

Dans le cas des textes verbo-visuels de « Elas, Madalenas » [...], les femmes trans apparaissent peu glorieuses, dans des situations courantes, dans des textes visuels faisant référence aux photos de la vie quotidienne qui ont fasciné Roland Barthes. Le geste politique de la série photographique se concrétise précisément dans cette absence d'exotisme, d’étrangeté : les textes visuels présentent les femmes transsexuelles comme des personnes ordinaires et invitent l'observateur à les prendre comme telles, à les absorber dans leur présence ordinaire et lointaine de marques de stigmatisation et d’exclusion sociale. Les « Madalenas » sont des gens comme nous. [...] Les femmes trans photographiées montrent plus que le portrait de corps. Ces textes visuels sont destinés à des classifications et à des ordres symboliques forgés dans la culture. (2017, pp. 106 et 109)

Pour Judith Butler (2002), le corps n’est pas défini comme une limite de positions ou d’expressions de genre, bien au contraire, le corps - matérialisé dans les pratiques sociales régies par le champ normatif - s’inscrit comme les interconnexions créées entre les formes de régulation et de régulation et les itérabilités dans les relations sociales de diverses temporalités et spatialités historiques (Tenorio et Prado, 2016).

La relation de l'être humain avec le corps, pour Foucault (1975/2004, 2013), se déroule de manière utopique et très étroite. Après tout, nous ne pouvons pas simplement nous dissocier de lui: nous le portons et nous le portons partout. L'espace fondamental de l'événement du sujet, la formation de sa subjectivité, le soi, le corps est en construction permanente, dans le passage entre le « comme si » et le « c'est comme ça ». En même temps, du fait de la configuration du sujet en tant qu'événement et de ce qui se passe, le corps est soumis relationnellement aux autres, à leur apparence et à leurs modes d'appréciation ou de dépréciation, en se configurant comme un vecteur de ces relations:

Le corps est hors de lui-même, dans le monde des autres, dans un temps et dans un espace qu’il ne contrôle pas, et il n’existe pas seulement dans le vecteur de ces relations, mais c’est aussi ce vecteur lui-même. En ce sens, le corps n'appartient pas à lui-même. Le corps, à mon avis, est l'endroit où nous trouvons une variété de perspectives qui peuvent être ou ne pas être les nôtres. La façon dont je suis appréhendé et dont je suis gardé dépend fondamentalement des réseaux sociaux et politiques dans lesquels ce corps vit, de la façon dont je suis considéré et traité, de la manière dont cette considération et ce traitement rendent cette vie possible ou ne le rend pas vivable. (Butler, 2009/2015, p. 85)

Construire et transformer le corps selon l’aspect que l’on veut avoir nous donne quelques indices importantes sur l’individu, tout en racontant comment il intériorise et interprète les normes sociales selon lesquelles il devrait être et agir. Toucher de plus près le modèle reconnu comme acceptable, c'est lapider le corps pour qu'il s'intègre dans le discours social légitime, situé dans le temps et dans l'espace en tant qu’une vérité partagé (Bento, 2006). Le travail de moulage d’un corps et de son apparence est aussi l’expression d’une expérience émancipatrice, vu que sujet autonome doit pouvoir se considérer comme l'auteur de sa propre histoire et de ses identités, à partir de son expérience. Il doit aussi faire des choix qui ne se limitent pas à choisir entre des alternatives socialement disponibles, mais en mettant en évidence un développement complexe des schémas de socialisation et des relations dans lesquelles il se positionne.

L'autonomie implique un jeu délicat entre l'identification des contraintes d'action et la définition des possibilités d'action à partir de la valorisation d'expériences qui ne sont pas complètement identifiées par des schémas d’attentes préalablement imposés (Biroli, 2012, 2013; Laugier, 2009). Autrement dit, l’autonomie renvoie à la fois aux conditions dans lesquelles les choix sont définis et à l’autodétermination des sujets, révélant comment ils gèrent dans leur expérience concrète les asymétries de pouvoir et les obstacles à leur émancipation. Cependant, la question ne se réduit pas à « savoir quelles sont les ressources matérielles et symboliques disponibles dans le processus dans lequel les individus se constituent en tant que sujets de leur vie » (Biroli, 2016, p. 44), car on ne peut pas en assumer que le sujet est a priori capable de créer des compétences à partir de hiérarchies de ressources, qu’elles soient matérielles et/ou symboliques.

Les expériences des personnes trans s'inscrivent davantage dans l'ordre des fractures avec les modes de pensée et de vie déjà donnés dans le domaine de l'expérience sociale. Par conséquent, il ne s'agit pas de réfléchir à un sujet qui limiterait son autodétermination et sa liberté par des systèmes de régulation de ses actions, car si toutes les contraintes qui leur sont imposées sont suspendues, cela ne signifie pas une libération ou une réalisation personnelle. En ce sens, être autonome ne signifie pas éliminer les limitations imposées aux choix d'un sujet (car cela suggère un système contraignant et un sujet autodéterminé), mais surtout penser que les expériences de transsexualité et de travestilité sont souvent marquées par la réaffirmation de contraintes, de la norme, mais cela ne supprime pas la liberté: au contraire, il réorganise des formes singulières d'autodétermination dans l'élaboration de leurs expériences.

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Figura 4

Tatouage et techniques de soi (Me beija/embrasse moi), Rue Guaicurus, 2012
Source: Archive personnel du photographe Lucas Ávila.

Il est important de remarquer que dans toutes les images analysées dans cet article les femmes ne regardent pas la camera/le photographe et donc l’spectateur. Le choix de Lucas Ávila est de concevoir l’image en tant qu’espace de refuge contre le regard scrutateur et préjugé qui caractérise la photographie prise par les médias ou par des sujets heteronormatifs dans leur perspective d’exotisation de l’altérité. Lucas Ávila a mis l'accent sur la possibilité de donner à voir des femmes qui ne sont plus réduites à des corps observés et surveillés, mais qui peuvent elles-mêmes observer le monde et jeter leur regard sur l’ambiance qu’interfère dans leurs mouvements. Le détour du regard est un geste de reconnexion avec leur corps, les rythmes et les gestes de la vie ordinaire et l’expérimentation des différentes possibilités de voir et pas seulement d’être vue (Quintana, 2019). Le photographe a aussi valorisé des caractéristiques distinctes du portrait et de la pose, produisant des écarts desidentificatoires entre l’activité du corps trans et le regard qu’il lance sur les espaces dans lesquels ces femmes trans circulent en les territorialisant. Le regard détourné est une ressource dramaturgique de suspension pour échapper à la l’interpellation que vise classifier les gens, tout en soulignant dans les détails une autre façon d'être, un nouveau mode de vie, apportant la figuration qui rend dignes et soustrait les femmes à la violence oppressive du regard colonisateur qui veut détruire l’autre. Modifier le corps, inscrire sur sa peau une tatouage est une manière d'écriture (voir figure 4) qui met en pratique les techniques de soi, en tant qu'un processus d'élaboration du sujet politique qui affirme sa puissance de dire ce qu'il désire: être aimé, touché, embrassé.

Photographe et photographiées produisent ensemble une apparence et un apparaitre qui visent à troubler le regard consensuel et à interférer dans la lisibilité sociale du sujet photographié. Ainsi, nous contemplons des corps et des visages qui ne nous regardent pas; nous essayons de parcourir ces visages et ces corps à la recherche d'une histoire sur laquelle nous avons des informations très incomplètes : ce sont des femmes trans, ce sont des activistes des droits humains, ce sont des déviantes, ce sont des êtres « pleurables » (Butler, 2002) à qui on peut attribuer le statut de l’humanité. Les femmes figurées dans les images ne nous regardent pas, mais leurs images nous interpellent : elles veulent quelque chose de nous, elles nous convoquent et produisent des regards opposés, car elles rejettent les manières dont les images stéréotypent, réduisent, essentialisent et excluent la variété des histoires, des corps, des affects et des liens. Les photographies de Lucas Ávila font d’ailleurs partie d'une série, d'une chaîne d'images qui exaltent la dignité des femmes trans et montrent un geste de rapprochement entre elles et les spectateurs, ouvrant une temporalité de coexistence prolongée qui échappe, par exemple, à l'opérationnalité de l’image documentaire.

Rancière (2003, 2019) met en relief la façon dont les images « travaillent » pour produire des agencements et des intervalles qui réarrangent les corps, les objets, les situations et les événements, afin de déstabiliser les réseaux conceptuels qui donnent lisibilité et intelligibilité à ce que nous voyons. Selon Andrea Soto Calderón (2020), le travail des images vise à recomposer et à redéfinir les paysages et les expériences qui définissent et réarticulent le visible, les actions et les manières à travers lesquelles les choses et les êtres apparaissent, c'est-à-dire les manières dont ils deviennent sujets de considération et respect.

Le genre est construit à partir d'une performativité qui, sur ces photos, utilise des signes d'identification (cheveux, traitements hormonaux, tatouages, maquillage, etc.) et d'appartenance qui n'isole pas les femmes trans, mais les rapproche de toutes les femmes. Corroborant le fait que la désidentification proposée par Rancière ne néglige toutefois pas les identifications, leur trouve d'autres sens, empêchant la fétichisation des différences qui articulent un groupe.

Le corps est également un grand acteur utopique en matière de masques, de maquillage et de tatouage. Masquer, maquiller, tatouer le corps n'est pas exactement, comme on pourrait l'imaginer, acquérir un autre corps, un corps plus beau, mieux décoré, plus facilement reconnaissable: tatouer, maquiller, masquer les corps est sans doute une question très différente et consiste à lui mettre en communication avec des pouvoirs secrets et des forces invisibles. Le Masque, le signe tatoué, le maquillage déposent dans le corps tout un langage: langage énigmatique, langage crypté, secret et sacré qui évoque pour ce même corps la violence du dieu, le pouvoir terne du sacré ou la vivacité du désir. Le masque, le tatouage et la peinture installent le corps dans un autre espace, le font pénétrer dans un endroit qui n’a pas de place directe dans le monde, font de ce corps un fragment d’espace imaginaire qui communiquera avec l’univers des divinités ou avec l’univers de l'autre. À travers elle, nous serons pris par les dieux ou par la personne que nous venons de séduire. Dans tous les cas, le masque, le tatouage, la maquillage sont des opérations par lesquelles le corps est arraché de son propre espace et projeté dans un autre espace. (Foucault, 2013, p. 12)

Les femmes trans photographiées par Lucas Ávila, dès lors qu’elles s’inscrivent dans les genres désirés, réalisent une sorte de collage ou de montage en jouant avec leur apparence, pour ouvrir la voie à la reconnaissance de leurs modes de vie. Elles traitent donc des lignes de force adverses dans le but de développer leurs propres codes et langages qui utilisent les vêtements comme un dispositif de subjectivation. Dans ce cas, la création d'une syntaxe liée au vêtement peut être considérée comme une littéralité, telle que définie par Rancière (2000), c'est-à-dire un excès de mots mis en circulation qui dépasse une fonction ou une désignation rigide qui interpelle ceux qui tentent réduire le vocabulaire circulant pour assurer l'ordre et l'exactitude. La littérarité désigne enfin un principe de démesure, de désencrage et de désordre: le pouvoir des démos de modifier la répartition des mots, les modes d'expression et les énoncés.

En présentant ce concept, Rancière (2000) fait référence à l’univers de la littérature et à la manière dont la fabulation fictionnelle libère les codes de certains domaines, favorisant ainsi la circulation de nouveaux énoncés et significations, permettant ainsi de déraciner des mots d’une plate-forme peut et ne peut pas avoir accès aux sens. Le mode de circulation et d'appropriation des mots, chez cet auteur, sert de condition de possibilité à l'existence du sujet dans des récits d'images imbriquées entre elles.

Dans le processus d'émancipation, chacun peut découvrir par soi-même, dans son propre langage, le rapport au monde et aux autres. À cet égard, l'autonomie est liée, pour Rancière, à l'exercice de la littéralité: accès et construction d'un monde commun par le travail avec le langage (ainsi que la littérature) dans les interactions intersubjectives constituant le sujet politique. En ce sens, dramaturgie, exagération, démonstration argumentative sont des expériences de pratiques sociales et ne sont pas réduites à une intériorité réflexive individuelle. La littérarité traduit le désengagement des sens, permettant à la même syntaxe d'être valable pour tous, sans être fermée aux identités de groupes spécifiques.

Si nous comprenons le vêtement comme un langage (Barthes, 1979), l'enjeu politique de la littéralité n'est pas seulement lié à la parole ou à l'écriture, mais également à l'accessibilité et à la disponibilité des codes expressifs de la mode pour tous. L’excès présent dans la combinaison d’accessoires et de vêtements constitue également un accès aux façons de jouer avec les vêtements pour produire des identifications et aussi desidentifications, créant ainsi des lieux uniques d’énonciation, générateurs de style de vie qui défient ce qui est considéré comme consensuel. Une façon de parvenir à la littéralité, de mettre en évidence sa force et de marquer ses effets est de localiser et d'analyser les espaces-temps dans lesquels un excès énonciatif rompt le lien entre l'ordre du discours et l'ordre des corps (Chambers, 2013; Dasgupta, 2009). Il s'agit de mettre en pratique une expérimentation de possibilités toujours limitée, limitée et disciplinée par la normativité légitimée.

Les femmes trans suivent une logique de refus, agissent contre les règles de la représentation et la mise en scène du partage du raisonnable par la police: le refus est une condition d'invention qui leur permet d'agir contre les identités emprisonnées (refus des attributions et des modèles de pouvoir majoritaires). À cet égard, la création d’un mode de vie est un processus d’expérimentation, de luttes autour du sensible: non seulement elle refuse une ordonnance de la police de ce qui est visible et inconcevable, mais elle invente une multiplicité de langages, de sémiotiques, de formes de vie et d’énonciation, des manières de s’habiller - des mondes que la police ne peut pas atteindre.

6 La figuration fabulatrice: vers un autre imaginaire

Les images de l’exposition « Elas, Madalenas » rendent plus claire la division entre le visible et l'invisible qui, dans les registres déplacés et « hors d'ordre », interrogent les critères de visibilité du corps des femmes trans. Les images nous révèlent des corps qui sont désormais égaux et singuliers, banals et secrets. Le corps trans est figuré comme le témoin de marques historiques, mais son témoignage est controversé car il devient le théâtre de la vie quotidienne. Le corps trans est un agencement d'une scène qui interroge la division sensible du destin de chacune de ces femmes, considérant le temps et l'espace déjà calculés et qui sont contraposés au destin réinventé, sans lieu défini, transgresseur des normes silencieuses de genre qui agissent sur la « montage » du corps dans son devenir trans.

C'est dans ce travail de montage que le photographe est un arrangeur de scènes. Il arrange et dispose les histoires et les témoins de ce temps vécu par les sujets photographiés dans des cadres uniques et inattendus et crée des scènes à partir des articulations singulières entre les éléments. Le corps trans s'humanise précisément parce qu'il équivaut à la banalité quotidienne de n’importe quel corps. Il est à la fois unique et quelconque. Ce corps n'est vu que comme un corps à la moitié, moins complet, moins cohérent, moins propre, moins naturel. C'est-à-dire ce corps abject, cette vie « moins valable » doit payer très cher pour entrer dans la logique intelligible des critères de visibilité biomédicale et politique. L’apparence et l’apparaitre du corps montrent l’importance de l’écart er de la disjonction entre ce qui est vu et perçu par un regard capturé par le consensus et ce qui peut dialectiser le visible, c’est-à-dire rendre lisible la dialectique d’une répression, d’une vie que ait été déshumanisée et enfermée dans le silence.

Les photographies de Lucas Ávila montrent comment les femmes transgenres, dans leur expérience quotidienne, se constituent en tant que sujets politiques, défient les codes de lisibilité de leur forme de vie par la déconnexion, argumentative et performative, avec une identité préalablement donnée. En ce sens, la construction de l'identité en tant que récit, associant expériences vécues et créations fictives, joue un rôle très important. Pour Rancière (2010), la fiction n'est pas l'existence d'un faux fait ou événement, mais la création d'un événement utilisant certaines ressources, telles que la performance. En créant un certain régime de ressemblance, la fiction exploite la puissance d'être. En s'appropriant ce qui, dans une culture, sont considérés comme des manières féminines de s'habiller, de regarder, de se comporter, de parler, deviennent quelque chose qui leur est propre et distinct, une manière d’être qui est aussi rêverie vers un autre imaginaire.

Ainsi, la subjectivation implique la production d’un corps individuel (au sens de son apparition dans l’espace public) et d’un corps politique collectif ensemble d’actions et de techniques d’énonciation) à appréhender et à offrir de nouvelles possibilités de reconfiguration des expériences par le biais d’agences collectives d’énonciation (voir figure 5).

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Figura 5

Nikky Rose et le corps politique, 2012
Source: Archive personnel du photographe Lucas Ávila.

D’après Rancière (1995), c'est par le chemin du moment quelconque que le sujet quelconque commence à être figuré (et pas seulement représenté), commence à apparaître et à être vu et entendu comme auparavant il n'aurait pas pu l'être. C’est par la rêverie possibilité par le moment quelconque qui se produit « l'entrée de tout individu dans le temps vide qui se dilate dans un monde de sensations et de passions inconnues » (Rancière, 2017, p. 151). Par la fabulation, non seulement les temps coexistent de manière non hiérarchique, mais aussi les sujets et leurs modes de vie. Réserver un temps pour réfléchir, pour suspendre la temporalité coordonnée et soutenue par les expectatives sociales est ouvrir un écart fabulatif (voir figure 6).

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Figura 6

Sissy Kelly et la fabulation du quotidien, 2013
Source: Archive personnel du photographe Lucas Ávila.

Les photographies de Lucas Ávila nous montrent que ce qui est vital pour la valorisation du moment quelconque, c'est la « durée du temps en lui-même, dans laquelle les choses affectent les personnages et la dignité engagée à poursuivre un rêve et supporter la déception de ce rêve » (Rancière, 2011/2013, p. 103). Figurer des personnes vulnérables dans les images pour montrer leur dignité et leur humanité fait sauter ou exploser la continuité et la linéarité du temps contrôlé par des gouvernementalités oppressives (Mayrink, 2015).

Sur la scène de dissensus, monté par le travail intervallaire des images, toute attente est insatisfaite : le moment démesuré prend de l'ampleur, « changeant le statut du visible, la façon dont nous regardons les choses et comment nous nous déplaçons entre elles » (Rancière, 2019, p. 51). Pour démanteler la machine d'explication du visible et du pensable, il faut ralentir et déplacer le regard, nous dit Rancière (2018a, 2018b). Et cela peut arriver lorsque nous participons à la création fabulatrice avec des images et à partir d'elles. La fabulation peut être comprise comme la production de nouveaux énoncés à partir de l'activation d'un autre imaginaire qui défie et défie un imaginaire hégémonique, montrant les incohérences, les excès et les injustices des représentations hiérarchiques. L'un des principaux gestes de la fabulation est d'essayer de remettre en question les images de manière plus longue, en se méfiant de la manière dont les représentations tendent habituellement à présenter, à la fois, les conflits et leurs solutions pacifiées.

Les images de Lucas Ávila permettent une figuration fabulatrice (Rancière, 2008/2012) qui décrit comment la vie dépend de la fabrication, de l'élaboration constante d'un mode de vie qui allie souffrance, liens familiaux brisés, liens sociaux brisé, précarité, manque de respect, lisibilité / invisibilité face à des sphères plus larges de présentation de soi et d'expression de leurs expériences. Pour cette raison, ils remettent en question un cadre biopolitique de significations dans lequel tout semble être dit; le sujet est facilement identifiable et le spectateur s'adapte aisément à sa position d'indignation face à des faits faciles à interpréter et à juger.

La rêverie des sujets figurés dans l’image contredit l'enchaînement des causes et des effets, la prévisibilité, la relation entre ce qui serait prédit et ce qui se passe réellement. Les photographies de Lucas Ávila ouvrent l'espace à l'événement de la rêverie, de l'ouverture des significations à partir de la rencontre entre les regards et les attentes des personnes photographiées et des spectateurs. Il y a la préservation d'un lieu de rencontre, de dialogue et d'éloignement entre les personnes représentées et les spectateurs.

Ainsi, apparaître dans des images photographiques et par ces images implique une opération délicate de questionnement du cadre hiérarchique et consensuel, de l’interpeller à la recherche de fissures qui indiquent que le cadre ne peut pas déterminer avec précision ce que l'on voit, pense, reconnaît et appréhende. Figurer des personnes vulnérables passe par le geste de trouver les histoires qui permettent de rendre sensible une approximation, une approche de longue durée entre spectateurs et l’altérité présente dans l'image. L’opération sensible des images réveillent chez le spectateur nouvelles façons de percevoir les corps et les multiples spatialités et temporalités de la scène dans laquelle apparaissent et s'élèvent - dialectiquement et dissensuellement - les visages qui nous interpellent.

7 Considérations finales

Les analyses réalisées à partir de photographies qui font partie de l'exposition « Elas, Madalenas » nous offrent quelques indices sur la façon dont le processus émancipateur, selon Rancière (2009b), commence par un subtil déplacement d'un corps qui s'éloigne d'un ordre consensuel qui restreint leur mobilité, leur liberté, leur désir et leur expérience. Le corps est un réseau et un agencement de positions de sujets, d'affections, d'images, de luttes et de violences qui peuvent troubler des formes naturalisées d'appréhension des différences par l'établissement de fractures et d'intervalles dans les régimes hégémoniques de visibilité. En attribuant une dimension forte de corporéité à l'émancipation, Rancière nous montre comment le déplacement d'un corps dans les espaces publics et privés est aussi l'ouverture pour l'élaboration d'un autre imaginaire politique.

Les images de Lucas Ávila arrivent à déplacer les corps des femmes trans et de les détourner de leur destination prévue. Elles leur rendent non classifiables, car leur dimension ordinaire et aussi le langage choisi pour mettre en scène le rencontre entre photographe et photographiées attire l’attention vers ce qui n’était pas attendu, ce qui n’avais pas été vu auparavant. Il est don possible d’affirmer que la stratégie adopté par le photographe rend évident la façon dont une image ou des images peuvent produire une scène de dissensus capable de faire figurer l’apparition des vulnérables. Dans la figuration, l’apparence du sujet est détourné de sa composition et de sa disposition habituelle, ce qui lui permet d’échapper à notre tentative incessante de le catégoriser, de l'évaluer, de le juger et de le soumettre au déjà familier: il doit rester étrange et, pour cette même raison, troublant.

Le travail de l’image est ainsi lié à l’apparaitre car, comme le souligne Rancière (2008/2012, p. 96), une image appartient à « un dispositif de visibilité qui régule le statut des corps représentés et le type d’attention qu’ils méritent ». Rancière affirme que le montage de la scène est aussi un travail d’élaboration d'autres manières de fabriquer et de fabuler des images (et avec elles) au-delà du régime représentatif. Il ne soutien pas que la représentation soit à éviter, car elle continue d'être une modalité que les images utilisent pour créer des mondes.

La tension qu’il établit entre les images représentatives et les images esthétiques n'est pas une relation polarisée, dans laquelle l'une doit « éliminer » l'autre. Il ne s'agit pas de refuser la représentation comme opération de travail qui donne forme au visible, mais de produire et de maintenir une distance critique à la compréhension des événements comme matière inerte, en attendant que quelque chose d'extérieur les organise. Ce qui l'intéresse à Rancière (2020) c'est de saisir le moment d'oscillation dans lequel une image peut, d'une part, démonter la relation entre les causes et les effets et, d'autre part, montrer et articuler des différentes manières de figurer le corps dans l'image.

L’argument de Rancière est basé sur l’idée selon laquelle l’écart produit par la fabulation peut déclencher une opération de déplacement et d’interruption de la manière dont le régime représentatif réaffirme les hiérarchies et les inégalités dans les modalités de « l’apparaître » des sujets et de leurs modes de vie. Une image donc produit des intervalles lorsqu'elle offre « une dimension d'évasion, une verticalité par rapport au déroulement linéaire d'un récit, créant des opportunités d'approximations de temporalités multiples » (Rancière, 2019, p. 69). La scène peut « faire des images intervallaires » qui s'éloignent de la représentation et qui interférent sur l'intrigue temporelle qui les insère dans une figuration dignifiant des vulnérables. Ainsi, Rancière soutient que l'image produit « un type d'opération qui va changer la distribution du visible et du pensable » (2019, p. 50), puisque le pouvoir politique est autant dans les images (matérialité du signal) que dans la relations et opérations qui les définissent et qui troublent le regard consensuel.

Les images de l’exposition « Elas, Madalenas » vont à l'encontre de l'enchaînement des causes et des effets, de la prévisibilité, du rapport entre ce qui serait prédit et ce qui se passe réellement, créant un récit expérimental et dissident déployé par la scène polémique et ses agencements temporels déstabilisants (Rancière, 2018c, 2019). Les images peuvent ainsi faire apparaître l'imprévu, ce qui n'était pas remarqué, perçu, ressenti auparavant: elles produisent et sont produites par des opérations qui désorganisent, bouleversent et réarrangent ce qui est donné en faisant apparaître d'autres possibilités, c'est-à-dire d'autres manières de rendre lisibles et intelligibles des temps, des espaces, des objets, des corps et des expériences. Les images peuvent donner lieu à des scènes singulières et, en jouant le rôle de « petites machines qui refusent l’explication déjà donnée » (Rancière, 2019, p. 57), elles sont capables de démonter la raison explicative qui persiste dans le régime représentatif, ouvrant des intervalles qui permettent des déviations, des rêveries, des excès « qui vont changer la distribution du visible et du pensable » (Rancière, 2020, p. 834).

Sur la scène de dissensus monté par le travail intervallaire des images toute attente est insatisfaite: le moment démesuré prend de l'ampleur, « changeant le statut du visible, la façon dont nous regardons les choses et comment nous nous déplaçons entre elles » (Rancière, 2019, p. 51). Par ailleurs, transformer un événement singulier donné en scène de dissensus requiert l’invention d'une écriture non explicative (qui articule les différences sans les suturer, ouvrant d'autres espaces et d'autres temps dans le récit), ainsi qu'un investissement dans la production de réseaux de relations entre événements, dans lesquels « l’apparaître » est le moteur éthique, esthétique et politique de la transformation émancipatrice. Une scène est donc le résultat du travail de prise de position de la personne (le chercheur, le philosophe, l’écrivain) qui monte les constellations et de sa capacité à produire un langage capable d'affirmer un autre rapport à l'espace et au temps.

Les images sont des opérations qui arrangent les choses d'une manière donnée pour que d'autres réalités puissent être imaginées. Ils ne sont pas prêts, mais ils sont « à l'œuvre », testant des moyens de rupture avec les formes énonciatives dominantes et les représentations figées. Elles sont intervallaires dans le sens où elles transitent entre des noms, entre d'autres images et entre nous. En ce sens, nous ne sommes pas devant elles, en attendant leurs effets, mais nous sommes parmi elles (Rancière, 2008/2012). La circulation des images et la manière dont nous les faisons circuler produisent des constellations, définissent des montages qui brisent un ordre explicatif linéaire causal: le pouvoir politique des images réside précisément dans les relations inattendues et imprévues qu'elles peuvent engendrer.

8 Remerciements

Ce travail a été développé avec le soutien du CNPq, de la CAPES et de la FAPEMIG. Nous tenons à remercier les contributions de Lucas Ávila et Ana Luisa Pagani Mayrink à une première version de ce texte.

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